Enseignement de la langue arabe au primaire

Cet article, écrit par Aude MAILFAIT , diplômée à Sciences Po, a été publié sur un blog créé avec l’IPJ (institut pratique du journalisme) en juin 2016.

Enseignement de la langue arabe au primaire : quels enjeux ?

Dans le cadre d’une réforme de l’enseignement des langues étrangères valable pour la rentrée 2016, le Ministère de l’Education nationale a récemment annoncé la suppression des enseignements de langue et de culture d’origine (ELCO) pour les remplacer par des enseignements internationaux de langues étrangères (EILE). Cette mesure concerne notamment l’enseignement de la langue arabe qui sera, tout comme le serbe, le croate ou le turc, intégré au cours de langues vivantes étrangères “standards” et proposé à tous les élèves dès le primaire. Notons toutefois que cette mesure ne laisse pas indifférente la classe politique. 

Le 25 mai dernier, lors de la séance des questions au gouvernement, la députée Les Républicains Annie Genevard prenait ainsi à partie la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem :  “Ne croyez-vous pas que l’introduction des langues communautaires dans les programmes scolaires encouragera le communautarisme qui mine la cohésion nationale ?”  Comme l’illustre la réaction de la députée, beaucoup pointent du doigt les risques de l’enseignement d’une langue parlée par une minorité issue de l’immigration, qui favoriserait le communautarisme. Un des sujets les plus sensibles du moment.

Dans son esprit, la réforme sur les ELCO va pourtant dans le sens inverse. Il ne s’agit non pas de favoriser un enseignement communautariste des langues perçues comme minoritaires, mais de les intégrer pleinement au cadre des langues vivantes étrangères de l’Education nationale. D’ailleurs la suppression des ELCO fait plutôt consensus à l’Assemblée nationale. Ce dispositif, né dans les années 70, résultait d’un accord entre la France et les pays correspondants aux vagues successives d’immigration (Portugal, Algérie, Maroc, Tunisie, etc.) dont le but était de permettre aux enfants d’immigrés de maintenir un lien avec leurs pays d’origine, en vue de faciliter leur éventuel retour… Le cœur du débat actuel concerne la formation des enseignants des ELCO, qui pour la plupart sont des professeurs étrangers, dont la maîtrise de la langue française n’est pas systématiquement vérifiée, et dont l’enseignement n’est pas forcément inspecté, ni intégré dans une équipe pédagogique. Si l’on sait aujourd’hui que les ELCO ne sont pas le creuset du communautarisme, car ils sont conformes au cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) et s’ouvrent à des élèves qui ne sont pas locuteurs natifs de la langue concernée, ils ne correspondent plus aux attentes actuelles de la société.

Derrière ce débat sur un dispositif qualifié “d’absurde” par la ministre de l’Education nationale se cache un autre enjeu, plus large, celui de l’enseignement de la langue arabe en France.

En effet, la réforme sur les langues étrangères qui concerne notamment la langue arabe s’inscrit dans une volonté de promouvoir un arabe laïc et républicain. L’idée portée par la ministre est notamment d’encourager le développement des sections internationales d’arabe existantes, dans lesquelles l’enseignement de cette langue est intégré à l’équipe pédagogique des classes concernées, et où il est contrôlé par les inspecteurs de l’Education nationale.

Les sections internationales existent déjà

Au même titre que des sections internationales d’anglais ou d’espagnol, il existe déjà aujourd’hui des sections internationales d’arabe. Il ne s’agit pas d’une classe bi-langue qui implique “seulement” l’enseignement d’une LV2 dès la 6ème, mais d’une classe où en plus de l’ensemble des cours, les élèves suivent des heures de cours supplémentaires dans la langue choisie et dès le collège, une matière non linguistique enseignée dans cette même langue. L’idée de la réforme sur les langues étrangères est de favoriser le développement de ces sections internationales dès l’école primaire. Cependant, on constate qu’il existe très peu de sections internationales d’arabe : seulement trois collèges-lycées publics la proposent en France dont le Lycée Balzac à Paris (17ème), et deux écoles élémentaires uniquement dont une à Paris (l’Ecole Bessières dans le 17ème) et une à Grenoble.

A l’Ecole Bessières à Paris, la directrice de l’établissement révèle l’origine de ces sections méconnues “La classe a ouvert en 2009 suite à un accord avec l’ambassade du Maroc, avec la volonté de développer un arabe laïc et littéraire. Dans un contexte où l’enseignement de l’arabe est beaucoup dispensé dans des organismes privés dont certains sont soupçonnés de réaliser du prosélytisme religieux, il était important d’affirmer la différence entre l’arabe et l’Islam”.

Hall d’entrée de l’école élémentaire Bessières

Le professeur d’arabe en charge de la section – qui commence dès le CE1 et se poursuit jusqu’en CM2 – affirme, quant à lui, “axer son travail sur la citoyenneté”: “Il ne faut pas enseigner l’islam aux enfants, mon objectif c’est autre chose, j’axe sur la citoyenneté selon les valeurs laïques de la République française”. Il enchaîne: “Quand un enfant me demande si « Akbar » réfère à « Dieu le plus grand », je leur réponds que Akbar veut simplement dire « le plus grand », et alors ils me répondent « Ah ! il y a une différence ! »”.  Selon lui, “il y a bien une différence entre l’arabe et l’Islam : l’arabe oral existe avant la vie du prophète, et c’est 200 ans plus tard, sous la dynastie des abbassides que l’on développe l’arabe littéraire donc bien après la naissance de l’Islam”. L’enseignement de l’arabe pour les élèves de CE1 au CM2 consiste en un travail de l’expression orale, de l’écriture et de la lecture oralisée : “On s’organise autour d’une tâche finale avec des visites et descriptions de lieux touristiques à Paris. Ils apprennent à parler de leurs goûts et préférences, à se présenter … Ce sont des ressources linguistiques qui seront utiles et pèseront au collège quand ils attaqueront la grammaire et la conjugaison en tant que telles”, précise le professeur.

Pour lui, l’apprentissage de l’arabe aide même dans les autres matières.  “La langue arabe se comprend avant de se lire”. En l’absence de voyelles, l’enfant est obligé de lire la phrase en entier pour comprendre le contexte avant de pouvoir la lire. La compréhension et l’analyse sont donc au cœur de l’apprentissage de la langue arabe et sont des compétences très utiles dans le reste des études. C’est en cela que l’apprentissage de l’arabe diffère de certaines écoles religieuses : “Dans certaines écoles coraniques on apprend l’arabe avec des traduction des textes, or il faut apprendre aux élèves à comprendre les phrases en les replaçant dans leur contexte, ce n’est que comme ça qu’ils saisissent l’âme de l’écrivain, ce qu’il veut dire et ce qu’il ne veut pas dire”. La directrice de l’établissement confirme que “l’apprentissage de l’arabe a un impact sur l’apprentissage de toutes les matières, car les élèves sont suivis par les professeurs, ils savent qu’ils ont des cours en plus et inscrivent leurs études dans des objectifs de long terme”.

Une porte pour les filières d’excellence

L’exigence des filières internationales les rend attractives pour des parents qui ne sont pas liés familialement à la culture arabe. A la réunion parents-élèves, la directrice présente le nouvel emploi du temps de la filière : “Il s’agit d’un projet de long terme sur les 4 classes du primaire et le but est d’entrer dans la section internationale du Lycée Balzac, où le concours d’entrée exige un bon niveau en maths et en français”. Les parents qui inscrivent leurs enfants dans la section internationale ont généralement en ligne de mire les filières d’excellence telles que la section internationale du Collège-Lycée Balzac, la seule parisienne, qui permet d’obtenir un bac international, très prisé dans les études post-bac.

Du côté des parents, le choix de la langue arabe est généralement motivé par deux aspirations.

Tout d’abord il y a la volonté d’ouvrir les enfants à l’âge où ils sont en pleine construction à d’autres cultures et d’autres manières de concevoir le langage. Selon un parent d’élève, “c’est très important chez les jeunes enfants à 6-7 ans plus qu’à n’importe quel âge d’ouvrir à l’altérité culturelle et linguistique, de les laisser découvrir d’autres mythes”. Ce parent d’élève inscrit pour la seconde fois un enfant dans la section internationale de l’école élémentaire Bessières. Sa fille aînée est actuellement en 6ème au Collège Balzac et suit le cursus international d’arabe. Confiant dans l’avenir professionnel de sa fille, il fait part du second volet qui peut motiver des parents d’élèves non « arabisants » à inscrire leurs enfants en section internationale : maîtriser l’arabe est un facteur de différenciation, très prisé sur le marché du travail, notamment dans les carrières diplomatiques, mais également dans le commerce.

Pour le professeur d’arabe de la section, cette diversité des publics est un impératif dans le contexte politique actuel. “S’il y a un soutien pour la section internationale d’arabe, dans 10 ans on aura des dirigeants qui parleront arabe et comprendront le monde arabe” a-t-il déclaré.

Des sections encore élitistes

Seule difficulté : leur élitisme a tendance à faire fuir les familles de milieux plus défavorisés. “En 2013, j’ai commencé avec 53 élèves et maintenant je n’en ai plus que 26, dont 15 qui se sont désinscrits dans l’année”, déplore le professeur d’arabe. La section internationale d’arabe du primaire menace même d’être fermée par manque d’effectif. Pour lui il s’agit avant tout d’un problème de motivation des élèves et des parents. “L’arabe pose des difficultés c’est vrai, à la fois pour les enfants dont la langue maternelle est le français, mais surtout pour ceux dont c’est l’arabe dialectal”. Les parents arabophones sont inquiets pour différentes raisons. Tout d’abord, suivre une section internationale implique souvent de renoncer à l’apprentissage précoce d’une autre langue vivante comme l’anglais. Lors de la réunion avec les parents d’élève, un parent s’exprime “le fait qu’ils ne fassent pas d’anglais c’est très démotivant pour les parents”. Malgré les efforts de la directrice pour présenter une section qui ne mette pas de côté les disciplines “traditionnelles”, le nouvel emploi du temps ne fait pas l’unanimité : les cours d’arabe sont à des horaires contraignants pour les parents, et empiètent sur le cours d’anglais. Les parents s’inquiètent aussi de l’absence de débouchés de cette section, notamment depuis la fermeture des classes bi-langues d’arabe, moins sélectives que les sections internationales. Seulement trois collèges-lycées proposent des sections internationales, et l’on sait qu’elles sont principalement composées d’élèves issus de milieux sociaux favorisés. Une professeure d’arabe ayant enseigné au lycée Balzac me confie “j’enseignais l’arabe à des franco-américains, la crème de la crème sociale”.

L’enseignement de l’arabe ne déroge pas à la règle de la discrimination sociale. Il n’y a pas un enseignement d’arabe, mais bien autant que les réalités sociogéographiques le permettent. Les questions relatives à son enseignement ne peuvent être généralisantes car la situation diffère d’un établissement à l’autre.

Des enjeux de démocratisation 

Il y a de véritables enjeux de promotion de la langue arabe. L’image d’une langue ghettoïsante est prégnante dans les mentalités de beaucoup de dirigeants d’établissements, et ce particulièrement dans les communes de grande couronne. Dans ces établissements, le public des cours d’arabe n’est pas forcément issue d’une élite sociale, mais majoritairement de parents liés à l’immigration maghrébine.

Caroline Tahhan, professeure dans un collège de la grande couronne parisienne affirme : “On n’a pas à faire aux mêmes problématiques que dans les lycées internationaux, ici il y a une véritable inquiétude vis-à-vis du communautarisme”. Les classes bi-langues d’arabe sont souvent perçues comme des “punitions infligées aux élèves”. Mais son avis est tout autre. L’enseignement de l’arabe est loin de promouvoir le communautarisme, dans ses cours elle cherche à “attirer des profils diversifiés linguistiquement et culturellement”.

Concernant le lien entre l’arabe et l’Islam, elle est claire : “Les élèves se rendent compte que l’arabe n’est pas l’Islam. Les professeurs d’arabe prennent souvent le contre-pied, et insistent sur la pluralité du monde arabe. Je fais le choix d’insister sur les différentes identités du monde arabe et de le reconnecter avec ses racines, berceau de la civilisation humaine”. La professeure dit même faire face à une “incompréhension” quant à la crispation face à son enseignement. “La langue arabe est quand même la seconde langue de France, elle fait partie de notre histoire”. Pour elle il est important de la revaloriser surtout auprès des familles arabophones “très réceptives” qui le vivent comme une “reconnaissance de la République”. La professeure a l’impression d’ouvrir ces élèves à leur culture d’origine et valorise les dialectes ainsi qu’un “arabe moyen de communication”, plus accessible. En présence d’adolescents au collège, elle pense que son enseignement permet de “désamorcer des tensions identitaires qui pourraient mal tourner”. Mais quand elle s’adresse aux parents d’élèves, elle cherche à les rassurer sur la fait que l’apprentissage de l’arabe s’avère être un atout dans le secondaire et est même valorisé lors des concours pour les grandes écoles.

Des réformes politiques encourageantes

La position du ministère de l’Education nationale est selon la professeure encourageante. La récente intervention de la ministre à l’Assemblée nationale révèle selon elle une stratégie fine de valorisation de la langue arabe. Il ne s’agit pas de s’offrir à des critiques idéologiques en valorisant le facteur d’intégration de la langue arabe, notamment dans les banlieues de grande couronne, mais plutôt de promouvoir la langue arabe comme une langue moderne, parlée dans monde, et légitime d’être enseignée au même titre que l’anglais ou l’allemand. Le gouvernement inscrit l’enseignement de la langue arabe dans un projet plus global de réforme des langues vivantes, ce qui contribue à normaliser son enseignement.

Mais comme le confirme l’attachée de presse du ministère de l’Education nationale, les projets concrets de développement de classes internationales et bi-langues sont “en cours de réflexion”. Caroline Tahhan souligne les problèmes logistiques que posent le développement des cours d’arabe dans les petites classes. Les professeurs d’arabe font face à beaucoup de pressions. Ils habitent loin de leur lieu de travail et sont très sollicités. Le risque de fermeture de leur classe est constant. Et ils ont l’impression “de marcher sur des œuf” quand ils promeuvent cette langue auprès des directeurs d’école, ne sachant pas quels arguments mobiliser dans le contexte actuel de défiance.

De plus, si le gouvernement souhaite un enseignement dans les petites classes, les professeurs ne sont pas forcément qualifiés pour s’adresser à des élèves de 6-7 ans. “Enseignant au collège et au lycée, il est difficile de s’adresser à des élèves de cet âge, nous n’avons pas de manuels. Je vais pourtant devoir enseigner à des élèves de CM1 dès l’année prochaine” s’inquiète la professeure. La question de la formation d’instituteurs pour les classes de primaire se pose donc. “Il faudrait peut-être former des instituteurs capables d’intervenir en arabe.” propose cette dernière.

Malgré ces problèmes “logistiques”, elle se dit “émue du discours de la ministre de l’éducation nationale”, et a l’impression “d’être aidée dans son combat en hauts lieux”.  Ce serait la première fois que le gouvernement évoque la question, et ce, d’une manière “habile politiquement”. Prometteur pour la démocratisation de la langue arabe.

Aude MAILFAIT